Me revoici après 3 semaines de silence radio. Un peu penaude mais surtout bronzée et avec une bonne excuse : 14 jours de formation des professeurs des écoles de Guadeloupe sur les enfants-chercheurs en mathématiques. Pour me faire pardonner, voici une photo.
Et puis, je vous ai également ramené des cadeaux dans mes valises : pleins d’idées pour des articles à venir (et d’autres projets aussi). Et ces idées partent (comme souvent) de jolies rencontres. En Guadeloupe, j’ai rencontré beaucoup d’enseignants très investis et motivés pour essayer de nouvelles méthodes pédagogiques, ayant à coeur la réussite de tous leurs élèves. Parmi ces enseignants : Evelyn qui a prononcé deux phrases qui m’ont beaucoup fait réfléchir :
– “la première fois que je suis allée en métropole, c’était à Saint-Malo. J’ai vu la mer bleue, partout. Et je me suis dit “mais pourquoi ils viennent tous chez nous pour avoir la mer, ils l’ont ici ?” Puis j’ai mis un orteil dedans et j’ai compris”. Un bel exemple du cadre dans lequel notre cerveau pense et qu’on ne voit jamais, sauf si on se cogne dedans…
– début de la deuxième journée de formation. On commence par un petit temps de métacognition. Je demande aux enseignants de remplir une petite feuille avec les 3 idées essentielles qu’ils ont retenues de la veille. Une me dit “il faut encourager l’erreur”. Evelyn “Oh, doucement, ne pas la pénaliser d’accord mais pas l’encourager quand même !”.
Cette remarque me fait penser à l’accueil d’un tweet de mon dernier talk à Ludovia où justement, je pointais l’erreur “obligatoire” pour l’apprentissage. Vives réactions. Toujours sur le même fond “on ne vas quand même pas encourager nos étudiants à se tromper ?”
Eh bien si.
Mais pourquoi ai-je tellement envie que les élèves se trompent ?
Souvenir marquant de début de carrière. Mois de mai, jeune stagiaire, cours en 2nd sur la notion de “pression”. Mon chef d’établissement vient voir mon cours pour documenter son avis. Cours dialogué classique. Tout s’enchaîne à merveille. Questions d’élèves, illustrations par exemples concrets, discussions intéressantes. Le chef d’établissement sort ravi, il me dit “je n’ai jamais appris autant de choses sur la pression, je me suis régalée”. Super avis. Bref, tout va pour le mieux. Jusqu’au contrôle… Et là, je reparle des mêmes exemples du cours, je pose des questions auxquelles on avait répondu au cours. Echec de la moitié des élèves. Et pour moi, début de la remise en question profonde de mes méthodes d’enseignement.
Démunie, je me tourne vers la bibliographie. Je tombe sur “l’erreur, un outil pour enseigner” par Astolfi. Je comprends ce que le constructivisme veut dire en action, notamment au niveau des erreurs des élèves. Je rejoins alors un courant bien partagé par les enseignants aujourd’hui qui est que l’erreur permet de voir où les élèves en sont de leur apprentissage et moi de mon cours. Les erreurs nous permettent de voir ce que l’élève a “dans le crâne” et donc d’adapter son enseignement. On devrait d’année en année avoir un cours de plus en plus “parfait” qui instillerait de moins en moins d’erreurs dans la tête des élèves. C’est bien ça être pédagogue, non ?
Sauf que.
Sauf que, en parallèle, je me mets à travailler de façon concrète sur les erreurs de mes élèves. A leur demander de les retravailler et donc à différentier mon enseignement. En faisant cela, je remarque que mes élèves deviennent meilleurs indubitablement. Je remarque très peu d’influence de mon cours sur le résultat final. En revanche, mon travail de correction a une influence considérable. Tout se passe comme si le véritable apprentissage commençait APRES la correction, au moment où l’élève travaille ses erreurs. Mon but devient donc d’amener les élèves à se tromper le plus rapidement possible afin de commencer le vrai travail.
Septembre 2016, je quitte mes élèves et je prends le temps de lire ce que les scientifiques nous disent sur l’erreur. Et il semblerait que ce que je voyais en classe de façon très empirique est étayé par la recherche. Les neurosciences nous disent que le cerveau produit plus de signaux lorsqu’il détecte une erreur. La psychologie expérimentale nous dit que les élèves apprennent mieux lorsqu’ils se trompent et nous invite à encourager l’erreur. Je trouve une certaine concordance dans les travaux : l’erreur n’est pas une espèce “d’effet secondaire” de l’apprentissage. L’erreur est à la base de l’apprentissage. Et donc toutes les stratégies qui découragent l’erreur empêchent en réalité l’apprentissage.
Mais alors pourquoi, forte de tous ces constats, la place de l’erreur n’est-elle toujours pas “juste” dans l’enseignement. Et pourquoi même plus que ça, essayer de la remettre à sa juste place soulève-t-il tant de réactions ? La suite au prochain épisode.
Metcalfe (2017) Learning from errors , Annual Review of Psychology 2017 68:1, 465-489
Astofi (1997) L’erreur, un outil pour enseigner, esf
Boaler (2015) Mathematical Mindsets: Unleashing Students’ Potential Through Creative Math, Inspiring Messages and Innovative Teaching, Jossey-Bass