Dans le cadre d’une visite de classe cette semaine, je me suis dit que l’enseignement c’est un peu comme une balade en forêt.
Dans une vision “traditionnelle”, la classe suit l’enseignant qui sert de guide. Tout le monde suit le même chemin, celui de l’enseignant. Le rythme est imposé, le même pour tout le monde.
Même si on veut dépasser le guide, cela ne sert à rien car c’est lui qui a la carte donc on est perdu. Le professeur s’arrête de temps en temps pour faire une pause ou aller chercher ceux qui ont du mal à avancer au même rythme que tout le monde. Mais bon, il faut bien finir la balade avant la tombée de la nuit. Alors ceux qui avancent trop lentement, on les laisse finir tous seuls.
Le gros du travail de l’enseignant, en tant que guide, c’est d’étudier les cartes, de réfléchir au chemin le plus simple, celui avec le moins de difficultés pour que le maximum de gens puissent suivre. Et c’est souvent ce qu’on fait en tant qu’enseignant, on passe beaucoup de temps à travailler nos cours, à travailler le cours parfait. Ce qui est loin d’être optimal. Mais, alors, que travailler si ce ne sont pas nos cours ?
La première chose à faire c’est de fixer le point d’arrivée de la balade. Ou est-ce que je veux que tous mes élèves arrivent ? On peut prévoir également une balade en deux temps : un premier point, obligatoire pour tout le monde, et une petite “rallonge” pour éviter que ceux qui sont arrivés en avance s’ennuient.
Le but n’est pas de cerner un ensemble de connaissances que l’élève doit maîtriser mais un changement de structure cognitive, beaucoup plus profond. Qui restera donc dans la durée. [1]Par exemple, je ne vais pas attendre de mes élèves qu’ils connaissent la température d’ébullition de l’eau. Je vais attendre d’eux qu’ils aient compris le concept de changement d’état afin d’arrêter de forcer le feu sous la soupe pour que ça cuise plus vite [2].
Comment trouver ce changement conceptuel ? Personnellement, je me sers de 3 indications :
– les travaux en didactiques de ma discipline
– les erreurs que font traditionnellement mes élèves (les erreurs, toujours elles)
– je me rapproche du concret. Le but n’est pas de partir des connaissances mais de “à quoi servent” les connaissances. Si on s’assure que les élèves savent utiliser les connaissances apprises, on est dans l’ordre de la connaissance en action et donc du changement conceptuel.
Dans une vision “classique”, une fois la balade finie, on se dit que tout le monde sera capable de refaire le chemin. Vision assez commune de l’apprentissage. Si on revient dans la salle de classe, cela revient à dire que tout le monde est capable de refaire un exercice qu’on a corrigé au tableau (si vous pensez encore que c’est vrai, je vous laisse faire l’expérience en classe, si vous avez un taux de réussite de 100%, merci de me contacter, je pense que vous avez des choses à m’apprendre !).
Si on veut que l’élève puisse refaire la balade, il faut lui permettre d’emprunter son propre chemin.
Et donc, histoire d’être sûr que tout le monde puisse y aller à son rythme, avec son propre chemin. On va donc choisir un terrain où il y a plusieurs chemins possibles.
Ces deux points traduits concrètement, en terme d’enseignement, consistent à fixer des challenges aux élèves. Afin de gérer l’hétérogénéité et que donc chacun des élèves s’y retrouve, il est important de fixer des challenges que Jo Boaler appelle “low floor, high ceiling” [3] et que je traduis par “d’accès aisé sans limites”. Le challenge, la tâche fixée aux élèves doit être suffisamment simple à comprendre pour que tout le monde puisse la commencer. Et sans limite, ce qui fait que les élèves les plus rapides seront toujours occupés. Bref, des tâches ouvertes. Par exemple, au lieu de demander aux élèves de dessiner un carré de côté de 3 cm, on va leur demander de dessiner tous les rectangles ayant 12 cm de périmètre.
Pas besoin de réfléchir aux stratégies possibles que les élèves vont mettre en place. Ce sont eux qui vont trouver cela.
La préparation pourrait donc se résumer à cela : fixer le point d’arrivée et laisser les élèves choisir leur chemin. C’est le plus dur et pas le plus long à faire en temps.
S’il nous reste du temps, on peut également réfléchir aux apports théoriques. Si je demande à mes élèves de tracer des figures de 12 cm de périmètres, il va bien falloir qu’ils aient des connaissances : notion de périmètre, utiliser la règle, etc. Une fois ces connaissances listées, on peut réfléchir à comment les apporter aux élèves. Puisque chacun des élèves suit son propre chemin à son rythme, un cours magistral faire rarement sens. Heureusement, il nous reste beaucoup de pistes : capsule vidéo, fiche papier, un point “cours particulier” par le prof au bon moment, la recherche documentaire par exemple.
Ou alors les élèves peuvent s’apprendre les concepts les uns les autres, partant du principe qu’on retient d’autant mieux ce qu’on enseigne. Et là, s’ouvre toute la didactisation du travail de groupe (d’équipe même) et la collaboration [4]. Bref, l’apprentissage par les pairs.
On voit bien qu’avec cette stratégie, on ne peut pas tout prévoir à l’avance. Inutile et même contreproductif d’imaginer le chemin que chacun des élèves pourrait éventuellement emprunter. Croyez-moi, ils trouveront toujours de quoi nous surprendre. Je trouve beaucoup plus efficace au contraire de réagir “après”. Ce qui implique de se garder du temps de travail entre les sessions. En effet, dans cette optique, pas possible de se dire “j’ai préparé tous mes cours jusqu’à Noël”, il faut donc prévoir qu’on va devoir travailler, même une fois la séquence lancée. Pour augmenter sa réactivité, il est important de travailler son expertise personnelle. Donc lire, se former, collaborer avec les collègues, bref, continuer à apprendre. Enfin, une petite chose qui peut faire gagner du temps c’est d’organiser son stock de ressources mis à disposition des élèves afin qu’il soit réutilisable. Cela permet de capitaliser et donc d’être de plus en plus réactif d’année en année.
Voici donc ma façon personnelle de “préparer mes cours”. Assez loin de ce que je faisais en début de carrière. Et largement moins chronophage donc. Eh oui, si on part du principe que l’apprentissage a lieu après l’erreur, c’est donc l’après-erreur qui mérite qu’on y passe le plus de temps, à la fois en classe et en préparation. Ce qui veut dire qu’on ne peut pas passer trop de temps à préparer les cours, surtout en avance. Et si au lieu de préparer nos cours, on travaillait nos évaluations ?
[1] Astolfi, Darot, Ginsburger-Vogel, Toussaint, Mots clés de la didactique des sciences, chapitre 3, de Boeck supérieur[2] Hé oui, on a beau forcer sous le feu, l’eau de la soupe, qui bout, restera à 100°C. Les légumes ne cuiront pas plus vite. La seule solution est d’investir dans une cocotte minute.
[3] Boaler (2015) Mathematical Mindsets: Unleashing Students’ Potential Through Creative Math, Inspiring Messages and Innovative Teaching, Jossey-Bass
[4] Voici mes sources d’inspiration sur le travail collaboratif. Et bien sûr le livre de Sylvain Connac : Apprendre avec les pédagogies coopératives.