Les sciences cognitives nous disent que rendre une tâche plus difficile peut conduire à un meilleur apprentissage et une mémorisation plus durable. Comme le disent Zaromb, Karpicke et Roediger en 2010 “Rendre les conditions d’apprentissage plus difficiles, ce qui oblige les étudiants à un surcroit d’engagement et d’effort cognitif, conduit souvent à une meilleure rétention.” C’est le terme de “difficultés souhaitables”. (voir article précédent)
Cette semaine nous allons nous pencher sur ce paradoxe apparent et explorer les processus qui ont lieu lorsque la compréhension n’est pas immédiate.
Tout d’abord, une incompréhension, un obstacle est indispensable au conflit cognitif et donc à l’apprentissage conceptuel [1]. Tout se passe un peu comme dans la marche. Si on reste debout sur ses deux pieds, en cherchant à consolider son équilibre, on restera sur place. Le premier pas commence par un déséquilibre.
De même, dans la théorie constructiviste, qui explique comment les concepts se forment, tout commence donc par une difficulté qui va créer un déséquilibre. Pour rétablir l’équilibre (dans une phase appelée l’équilibration), l’apprenant va changer ses structures internes de pensée et donc apprendre. De façon durable et profonde car ce sont les structures-mêmes de la pensée qui ont été changées.
Prenons l’exemple des lois de Newton en physique. Pour vous l’enseigner, on pourrait ensemble faire des exercices de mécanique sur la chute libre, je pourrai vous montrer des équations claires où on montre que le temps de chute ne dépend pas de la masse de l’objet. Vous pourrez avoir l’impression d’avoir compris et pourtant ne pas comprendre que cela veut dire qu’une pierre et une plume mettent le même temps à tomber de la main d’un astronaute sur la Lune. (petite vidéo pour ceux qui ne me croient pas).
Bref, la connaissance reste en surface, du vernis tant que l’apprentissage conceptuel, le changement de structure ne se fait pas. Et pour cela, il faut à un moment ou un autre se heurter à un obstacle.
La difficulté éprouvée par les apprenants peut également venir des efforts et l’entraînement demandés lors de l’apprentissage. [2] Ces efforts sont pourtant nécessaires pour créer des automatismes et des modèles mentaux. Lorsqu’un enfant apprends la multiplication, toutes ses capacités cognitives sont focalisées sur la multiplication en question. Il n’est pas capable de faire autre chose. Ce n’est qu’à force d’entraînement que ce processus sera automatisé, comprimé. La multiplication passera en “arrière-plan” du cerveau et l’élève sera capable de se servir d’une multiplication comme d’un outil dans des exercices plus difficiles. Mais cela demande de l’entraînement et donc des efforts.
L’autre avantage des situations difficiles à comprendre, c’est qu’elles font émerger le besoin. Vous savez, ce moment où on explique le fonctionnement du lave-vaisselle à nos enfants qui écoutent d’une oreille. Et qui nous appellent 15 jours après lorsqu’on est parti en weekend “Maman, comment il marche le lave-vaisselle ?”. Le cerveau humain est organisé pour limité la “surcharge cognitive”, il va donc automatiquement nettoyer/oublier toutes les informations qu’il juge non utiles. Donc le meilleur moment pour apprendre le fonctionnement du lave-vaisselle, c’est lorsqu’il est plein et qu’on n’a pas envie de laver tout à la main. Une notion est d’autant mieux retenue et mémorisée qu’elle arrive au moment où on en a besoin. Et cela passe par une difficulté éprouvée.
Les difficultés influent sur la mémorisation d’une autre façon. Les sciences cognitives nous indiquent que plus la remémoration d’un souvenir est facile, moins celui-ci est fixé [3]. Autrement dit, c’est lorsqu’on a du mal à se rappeler de quelque chose que le souvenir durera longtemps dans le temps. En demandant aux apprenants de se remémorer de savoirs anciens, on va ancrer ces savoirs. Concrètement, cela veut dire que le rappel du cours précédent ou de la notion de l’année dernière en début de cours par le professeur empêche la mémorisation profonde. Au lieu de plonger activement dans ses souvenirs anciens (ce qui demande du temps), l’élève va juste piocher dans sa mémoire à court-terme pour se rappeler ce qui s’est dit au début du cours. Laisser les élèves se rappeler eux-même des notions utiles et de les remettre en mémoire de travail permet de consolider la mémoire. Ce travail est souvent vécu comme une difficulté par les apprenants, surtout si le temps est compté.
Enfin, un savoir, une compétence n’ont d’utilité et de sens que si on peut s’en servir dans un autre contexte que celui où ils ont été appris. On appelle cela le transfert. Vous avez appris à conduire sur les routes près de votre auto-école et pourtant vous pouvez maintenant aller partout. Votre compétence “savoir conduire” est transférable à toutes les routes de France. Enseigner le transfert est une nécessité et pourtant une gageure pour l’enseignant. Aujourd’hui, on ne sait toujours pas trop comment cela s’enseigne (ni même si c’est possible et dans quelles proportions). Nous pouvons toutefois supposer qu’un savoir rencontré sur un seul contexte sera moins facilement transférable que s’il a été rencontré et mis en action dans plusieurs contextes différents. Et par définition, le changement de contexte est une difficulté pour l’apprenant.
Attention cependant, toutes les difficultés ne sont pas des difficultés “souhaitables”. En effet, l’anxiété par exemple, typiquement lors d’un examen, ne permet pas un meilleur apprentissage même si elle le rend plus difficile.
Une dernière chose, non prouvée par la recherche pour l’instant mais dont on se rend compte empiriquement. Pour qu’une difficulté soit source d’apprentissage, il faut qu’elle soit surmontable. S’il manque des connaissances de base par exemple, l’apprenant restera coincé sur la difficulté et cela ne sera pas source d’un meilleur apprentissage.
Toutes ces raisons poussent les enseignants à ne pas rechercher un “cours parfait”. Mais alors, que préparer avant d’aller en cours ? Comment se servir des difficultés souhaitables ? Je vous proposerai des pistes la semaine prochaine.
[1] Astolfi, Darot, Ginsburger-Vogel, Toussaint, Mots clés de la didactique des sciences, chapitre 3, de Boeck supérieur[2] Voir le MOOC de UC San Diego “Learning how to learn” par Barbara Oakley. Notamment la notion de “chunk” explorée dans la deuxième semaine. Coursera.
[3] Peter C. Brown, Henry L. Roediger III, Mark A. McDaniel, Make It Stick: The Science of Successful Learning 1st Edition (en français, Mets-toi ça dans la tête)