Tout le monde en est convaincu (surtout vous si vous avez lu mon dernier billet), l’erreur est indispensable à l’apprentissage.
On devrait donc être content de voir des erreurs à l’école, comme autant d’indicateurs que nos élèves sont en train d’apprendre, pour de vrai ! Or, ce n’est pas vraiment le cas, pourquoi donc ?
Tout d’abord peut-être car l’erreur est mal vue dans la société. Même si les mentalités changent doucement grâce à un import massifs d’entrepreneurs américains assumant leurs échec (pour ne citer qu’Elon Musk), en France, un échec est toujours mal perçu par la société. Je dirais que cela fait partie de notre patrimoine historique.
Si la société accepte mal l’erreur, on comprend que l’école ne peut pas non plus la voir d’un bon oeil.
Historiquement [1], la classe est construite comme le lieu de la mémorisation. Dans une tradition religieuse, c’est là que les élèves apprennent le “dogme”, il apprennent et récitent les leçons à l’école. L’erreur est alors systématiquement pénalisée, comme marquant un manque de mémorisation. Même si nous glissons aujourd’hui vers une école plus tournée vers la réflexion que la mémorisation, nous avons encore des marqueurs issus de cette époque-là. Comme les évaluations sur 20, où les erreurs sont sanctionnées (l’évaluation négative donc). On a tous en tête cette image de l’erreur marquée au stylo rouge du prof, pas vraiment valorisante. Rajoutons à cela certaines pratiques de distribution de copies, de la meilleure à la moins bonne. Pas sûre que l’élève ayant eu la moins bonne note, se sente “fier” d’avoir montré au professeur qu’il était en plein apprentissage… Encore maintenant, à l’époque de l’évaluation par compétences, le plus souvent, l’enseignant regarde en fin de trimestre combien l’élève a eu de “acquis” ou de “non acquis” sur ses évaluations afin de remplir le bulletin. Bref, à l’école, on ne demande par aux élèves de réussir, on leur demande de réussir du PREMIER coup. Cela est sans doute également dû au rôle sociétal et implicite de l’école : la sélection. Sous une croyance simpliste (et non fondée) qui dit que, pour être bon à l’examen, il faut s’entrainer le plus possible et le plus tôt possible à l’examen, l’école à tendance parfois à jouer le jeu de la sélection, trop tôt, bien trop tôt. Aux dépends parfois de son vrai rôle d’apprentissage…
Si on regarde du côté des auteurs, JP Astolfi, [2], nous explique cette aversion pour l’erreur par trois croyances :
– un “bon apprentissage” se ferait de manière régulière, construite et claire. Un bon cours, clair, des étudiants attentifs et motivés. On doit sortir de cours en ayant tout compris. Un bon apprentissage est un apprentissage qui n’induit pas d’erreur. Ce qui est dommage car les sciences cognitives nous disent aujourd’hui que c’est justement pas le cas [3].
– Le syndrome de l’encre rouge. Non seulement on sanctionne les erreurs au stylo rouge mais plus encore, un bon professeur est un correcteur qui ne laisse passer aucune erreur, sans se demander si ces corrections exhaustives ont une utilité.
– Le savoir “protège” le professeur. On parle ici du fameux “changement de posture”. La plongée dans la tête des apprenants peut se révéler difficile pour certains enseignants. L’erreur serait en quelque sorte l’image en miroir des défauts du professeur. Ce qui ne donne pas envie d’aller regarder cette erreur les yeux dans les yeux.
Je pense enfin que la vision des enseignants dans la société et donc leur formation joue un rôle majeur dans cette vision de l’erreur. Déjà car beaucoup d’enseignants ne sont jamais sortis du système scolaire. Ils ont été élèves dans un système scolaire où l’erreur est pénalisée, ont passé un concours pénalisant l’erreur et suivi une année de stage où on leur demande de, justement, ne pas faire d’erreur. La formation de l’année de stage est vécue par beaucoup comme du contrôle plus que de la formation. Et dans la suite de la carrière ? Plus rien. La formation continue n’est pas vraiment au point en France. De même, les inspection sont vécues comme des étapes de contrôle, non de formation. Rajoutons à cela la solitude du métier : nous seuls savons ce qui se passe dans nos classes. Et, d’expérience, personne n’est plus exigeant avec un enseignant que lui-même.
Ce qui fait que beaucoup d’enseignants n’ont en fait jamais expérimenté de première main les vertus de l’erreur pour leurs élèves certes mais aussi pour eux. Tant que nous sommes dans ce mythe des “bonnes pratiques pédagogiques”, les enseignants auront du mal à valoriser leurs propres erreurs. Je pense qu’il ne viendrait à l’idée d’aucun enseignant de montrer ses erreurs à l’inspecteur. Or, ce sont ces erreurs-là qui montrent que l’enseignant est encore en train d’apprendre, qu’il va vers “l’enseignant expert” et qu’il abandonne petit à petit “l’enseignant technicien”.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Reconnaissez-vous vos erreurs, en parlez-vous avec vos collègues ? votre inspecteur ? Quelles sont les pratiques pédagogiques qui, à votre avis, empêchent les élèves de se tromper ? N’hésitez pas à répondre en commentaires.
[2]Astofi (1997) L’erreur, un outil pour enseigner, esf, résumé par Manon Brière dans pédagogie collégiale[1]Veyrunes, Ph. (2017). La classe : hier, aujourd’hui et demain ? Toulouse : Presses Universitaires du Midi, collection « Questions d’éducation ».
[3] Peter C. Brown, Henry L. Roediger III, Mark A. McDaniel, Make It Stick: The Science of Successful Learning 1st Edition (en français, Mets-toi ça dans la tête)