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Sciences cognitives

Devenir intelligent

By 13 janvier 2019janvier 27th, 2020No Comments
devenir intelligent

Tout a commencé jeudi sur Twitter. Une collègue s’interrogeait sur la notion “d’impuissance apprise“. Cette discussion s’est très mal finie pour moi car j’ai fini par promettre un billet de blog. Billet que vous avez sous les yeux donc. Je vous laisse cliquer sur le lien pour aller voir de plus près ce qu’est l’impuissance apprise. Ou mieux, regarder cette vidéo. Qui vaut vraiment le détour. Qui mérite plus votre temps que la lecture de mon blog, c’est pour dire 😉

La vidéo nous montre comment les évènements extérieurs et l’interaction avec les autres modifie la perception que nous avons de nous-même et de nos habilités. Et comment le professeur, tant par ses actions que son discours peut influer sur la représentation que l’élève se fait de lui-même.
C’est pour cela qu’il y a des phrases qui ont le pouvoir de me faire bondir, voir montrer les crocs pour peu que je n’ai pas bien dormi :


“De toute façon, ce n’est pas un scientifique”
“Il a du potentiel, il faudrait juste qu’il se mette au travail” [1]


Dans ces deux phrases, se cache une vision de l’intelligence “extérieure” à l’élève, une sorte de donnée non modifiable. En gros, tout se passerait comme si, à la naissance, de par nos gènes, on gagnerait à une sorte de loterie de l’intelligence. Bim, toi tu seras intelligent scientifique. Et toi, non, raté. Le principe du QI, mal compris par une large majorité des gens [2], renforce cette vision. Même en rajoutant des choses plus complexes comme les intelligences multiples, le principe reste le même (voire pire). Au lieu d’avoir un score d’intelligence, on en a 9. Il n’empêche que les “non-scientifique” ou ceux “ayant une intelligence logico-mathématique peu développée” ne peuvent pas y faire grand chose. Il ne leur reste plus qu’à faire des études sans mathématiques.

Cette notion d’intelligence extérieure, innée, génétique presque pose plusieurs problèmes. Le premier (et pas des moindres), c’est d’être erronée scientifiquement. Depuis la fin des années 1990, les chercheurs en neurosciences étudient nos cerveaux à la loupe. Ils ont découvert que, suite des apprentissages, le cerveau évoluait [3], même après des apprentissages très court de 20 minutes par jour pendant 15 jours [4]. Eh oui, le fait d’apprendre fait changer notre cerveau, physiquement. Comme les muscles deviennent plus gros lorsqu’on s’entraîne régulièrement. Par exemple, les conducteurs de taxi de Londres doivent passer un examen très difficile où ils doivent mémoriser le plan de Londres appelé “The Knowledge”. Et lorsqu’on regarde avec un IRM fonctionnel le cerveau de ces conducteurs, on constate que leur hippocampe a grossi [5]. C’est ce qu’on appelle la plasticité cérébrale. C’est en apprenant qu’on devient intelligent. On ne nait pas un génie, on le devient, à force de travail dans l’apprentissage.

Mais alors, s’il suffit d’apprendre pour être un génie, pourquoi tout le monde ne l’est pas ? Carole Dweck dans son livre “Mindset : the new psychology of success” [6] nous propose une idée clée : le mindset, que je vais traduire en français par “le schéma mental”. Suivant la vision que vous avez de votre propre intelligence et de vos capacités, vous pouvez avoir un schéma mental figé (fixed mindset) ou un schéma mental en évolution (growth mindset).

Suivant que vous voyez l’intelligence comme quelque chose d’innée sur lequel vous n’avez pas de prise ou au contraire comme quelque chose qui grandit lorsqu’on y consacre des efforts, votre schéma mental ne sera pas le même. Et là où ça devient intéressant, c’est que les performances des apprenant dépendent de cet état d’esprit . En gros, les élèves avec un schéma mental en évolution ont de meilleurs résultats que ceux avec un schéma mental figé, ce qui peut se retrouver dans PISA par exemple [9]. En gros, les étudiants qui réussissent ceux sont qui croient qu’ils peuvent réussir et qui du coup, travaillent pour réussir.

Certains résultats [9] semblent montrer que le schéma mental va jouer sur la façon dont le cerveau va agir en face d’une erreur. Le cerveau est plus actif et a un traitement plus profond de l’erreur chez les individus ayant un schéma mental en évolution. Ce qui expliquerait donc leurs meilleures performance car le traitement de l’erreur est très étroitement lié à l’apprentissage (voir cet ancien billet).

Parfait ! Pour rendre nos élèves plus intelligents, il suffit donc de faire changer leurs représentations sur l’intelligence. Plus simple à dire qu’à faire. Beaucoup de nos comportements sont à changer en profondeur lorsqu’on prend réellement conscience de ce changement de paradigme. Mais je pense que ce n’est qu’ainsi qu’on pourra éviter, par exemple, le piège de l’impuissance apprise. Comment faire concrètement ? Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine avec des idées concrètes. Mais pour commencer, le plus gros levier serait de changer notre propre conception de notre intelligence. Alors, petite question : pensez-vous être assez intelligent pour réussir l’agrégation* ?

* à remplacer si besoin par : le CAFIPEMF, le CAPES, le CRPE, le concours d’inspecteur, le CAFFA, etc

[1] Entendues en conseil de classe, et pas uniquement.
[2] Saviez-vous par exemple que le QI d’un individu augmentait avec l’âge ? Cela n’a pas de sens de parler de QI “dans l’absolu”, il faudrait, pour commencer, par parler de QI “à un moment donné”
[3] Karni A1, Meyer G, Jezzard P, Adams MM, Turner R, Ungerleider LG., Nature. 1995 Sep 14;377(6545):155-8.
[4] Karni A1, Meyer G, Rey-Hipolito C, Jezzard P, Adams MM, Turner R, Ungerleider LG., Proc Natl Acad Sci U S A. 1998 Feb 3;95(3):861-8.
[5] Katherine Woollett1 and Eleanor A. Maguire1,Curr Biol. 2011 Dec 20; 21(24-2): 2109–2114.
[6] Carole Dweck, Changer d’état d’esprit : Une nouvelle psychologie de la réussite, 2010, Mardaga
[7] Blackwell LS1, Trzesniewski KH, Dweck CS., Child Dev. 2007 Jan-Feb;78(1):246-63.
[8] Boaler (2015) Mathematical Mindsets: Unleashing Students’ Potential Through Creative Math, Inspiring Messages and Innovative Teaching, Jossey-Bass
[9] Moser JS1, Schroder HS, Heeter C, Moran TP, Lee YH., Psychol Sci. 2011 Dec;22(12):1484-9.

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