On l’a vu, intelligence, apprentissage et droit à l’erreur sont profondément imbriqués. Pour apprendre à notre élèves à être intelligent, ils faut qu’ils se sentent prêts à faire des efforts pour apprendre, notamment de leurs erreurs. Facile à dire, mais comment faire ? Comme promis la semaine dernière, voici quelques pistes concrètes.
Pour commencer, pourquoi ne pas apprendre de manière explicite aux enfants ce que vous savez sur l’intelligence ? Oui, on peut leur parler neurosciences pour leur faire comprendre que c’est l’erreur qui permet l’apprentissage. Le but étant d’arriver à faire visualiser aux élèves le cerveau qui “s’allume’, grandit et les synapses qui se créent lors des erreurs.
Un exemple d’activité faite par une professeur de mathématiques [1] : en début d’année, elle demande aux élèves de froisser un bout de papier et de l’envoyer au tableau en exprimant les sentiments qu’ils ressentent lorsqu’ils font une erreur dans sa matière. Puis, ils vont ramasser les papiers, le déplient et repassent au stylo les rainures faites dans la feuille. Le professeur leur disait que cela représentait leur cerveau en train de grandir. Ils étaient ensuite invités à garder le papier dans leur classeur durant toute l’année.
Pourquoi pas étendre cet apprentissage des neurosciences aux parents ? En tant que parent, j’essaye également d’appliquer ces principes. Mon fils ainé (CE2) m’a ramené pour la première fois de sa vie la semaine dernière un B (oui, fils d’enseignant sans trouble de l’apprentissage, il est plutôt abonné aux A). C’était la première fois donc qu’il venait me faire signer un travail non parfait. J’ai réagit sur le ton de l’enthousiasme “Oh, c’est super, tu as fait des erreurs, cela veut dire que tu apprends”, j’ai même appelé son frère pour lui montrer (histoire de faire d’une pierre deux coups). Puis on a pris le temps ensemble de travailler sur les erreurs pour ancrer les apprentissages. Je ne dis pas que tous les parents devraient réagir avec autant de force. Mais au moins pourrait-on leur apprendre à montrer plus d’enthousiasme devant une erreur que devant une bonne réponse. Et donc des réponses du type : “Oh, je suis désolée que tu aies su répondre correctement à tout, cela veut dire que tu n’as rien appris”.
La deuxième piste, c’est vous : l’enseignant. Et cela veut dire travailler sur vos propres croyances sur l’intelligence, celles de vos élèves et également la vôtre. L’apprentissage passe beaucoup par l’exemple. C’est en montrant quotidiennement aux élèves par l’exemple ce qu’est un schéma mental en évolution que l’impact sera maximum.
Cela veut dire arriver en classe avec la conviction chevillée au corps que TOUT LE MONDE peut y arriver. Ce n’est qu’une question de travail. Attention donc au travail “différentié” où on donne des exercices plus faciles à certains élèves, ils peuvent induire un schéma mental figé chez ces élèves. Cela veut dire également ne pas mettre d’étiquettes sur les élèves. Plus de “bonne élève laborieuse” ou de “il a du potentiel”. Et si nous n’arrivons pas à enlever complètement ces expressions de nos têtes au moins pouvons-nous les bannir de nos bouches.
Nous pouvons également corriger les phrases des élèves lorsqu’ils manifestent un schéma mental figé. Remplacer le “je ne vais jamais y arriver” par un “j’y arriverais en travaillant”. Rajouter un “encore” à la fin de leurs phrases “Madame, je n’y arrive pas” devient un “Madame, je n’y arrive pas encore” [2]. Pourquoi pas également faire un petit test pour repérer dès le début d’année les élèves ayant un schéma mental figé. Nous pourrions ainsi concentrer nos forces sur le changement de paradigme vers le schéma mental en évolution chez ces élèves-là.
Une fois ce travail sur les croyances effectués, voyons voir ce que cela fait concrètement dans la classe. Cela passe tout d’abord par notre discours, nos réactions face aux erreurs. Et tout ce que nous avons dit sur les parents s’applique aux professeurs.
On peut par exemple s’exclamer “super” comme nous le propose Christine (cf Tweet). C’est important de manifester de l’enthousiasme devant les erreurs, de les voir et les montrer comme des occasions d’apprendre. Personnellement, quand je rendais des copies corrigées, je vidéoprojetais mes “erreurs préférées” au tableau en début de séance, on en parlait tous ensemble afin de s’en servir de base pour l’apprentissage. Et je n’oubliais jamais de remercier chaleureusement les auteurs de ces erreurs pour le service rendu à la communauté apprenante.
Petite note sur le cours dialogué qui est la modalité d’enseignement la plus répandue dans l’école française [3]. Le professeur pose jusqu’à 5 questions par minutes à la classe. Lorsqu’un élèves répond à côté, le professeur interroge un autre élève, et ainsi de suite jusqu’à avoir la bonne réponse. Le rythme des questions atteint très souvent 5 questions par minutes. Il s’agit donc de questions courtes, fermées, ne demandant pas de la réflexion. Cette modalité de classe nous est directement héritée de l’école comme “lieu de la mémorisation”. En effet, c’est bien la mémoire qui est sollicitée dans ce genre d’exercices. Si l’impact sur la mémorisation est indubitablement positif (chez les élèves participants), qu’en est-il de l’impact sur le schéma mental ? Pas sûre en effet que l’erreur soit correctement valorisée dans ce genre d’exercice…
Enfin, il est souvent d’usage, à la fin d’un travail, d’envoyer un élève ou un groupe d’élève au tableau. Nous choisissons traditionnellement le groupe ayant fait le meilleur travail pour que leur travail serve de modèle. Est-ce vraiment la pratique la plus pertinente ? Dans certaines culture, ce sont les élèves ayant fait des erreurs qui sont envoyés au tableau. Afin que tout le monde puisse apprendre de leurs erreurs. Gros challenge que d’arriver à créer un climat de classe où les élèves se sentent suffisamment en confiance pour aller exposer leurs erreurs devant tout le monde. Je reste convaincue que ce challenge est relevable et même indispensable à réussir si nous souhaitons rendre nos élèves plus intelligents.
Ce challenge peut d’autant plus facilement être relevé que c’est une démarche qui s’effectue à l’échelle de l’établissement. Comme par exemple l’organisation de la “semaine de la persévérance” qui se fait au collège Cambuston [4]. Ils nous partagent le paddlet de l’évènement pour notre plus grand bonheur.
[2] 28 ways to incorporate a growth mindset concept in the classroom, Candace Alstad, 2016
[3]Veyrunes, Ph. (2017). La classe : hier, aujourd’hui et demain ? Toulouse : Presses Universitaires du Midi, collection « Questions d’éducation ».
[4]Semaine de la persévérance au collège Cambuston, La Réunion